Isabelle Damotte |On ne sait pas si ça existe les histoires vraies

Comme pour chaque article qui évoque un texte poétique, on voudrait partager l’émotion ressentie à la lecture du livre sans abimer la lecture à venir. Alors on cherche les extraits qui peuvent de détacher du tout, et bien sûr cela résiste.
La poésie habite tout l’espace de la page, tout l’espace du livre, dans l’au-delà du matériel de l’imprimé et l’on ne peut pas transcrire le livre dans son entier.

Pourtant, on veut convaincre. Dire : lisez ce livre. Prendre par la main ceux qui auraient des doutes, ceux qui ne lisent pas de la poésie, ceux qui lisent ailleurs. On voudrait dire sans trop en dire.
L’exercice est périlleux.

Premier livre d’Isabelle Damotte publié par les éditions Cheyne et ces mots qui ouvrent le texte - après une très belle et très juste préface de Marie Cosnay.

Je m’appelle Judith, j’ai trois ans.
Ma mère est belle, ses yeux sont verts.

La nuit mon père galope sur un grand cheval noir.

Les histoires d’enfants commencent bien en général, oui mais elles se frottent au monde rugueux des adultes, très vite et parfois trop tôt. Les enfants détachés du supposé douillet de l’enfance vivent alors une longue solitude.

Il est tard , moi aussi on me plie sous les draps et on me borde bien serrée.

Ainsi des enfants connaissent trop tôt les nuits sans réponse, les ciels qui ne lèvent pas le voile et l’absence d’une main pour monter l’escalier trop haut.

Et l’horizon ne s’ouvre pas forcément avec la robe bleue des dames qui veillent.

Oui difficile d’évoquer ce texte sans dévoiler la subtile avancée d’enfants qui ont des mots en bouillie dans la bouche et qui cachent les pelures de crayons de couleurs sous leur oreiller.

Des enfants qui voient les portes du château se refermer, mais retourneront au pays des orangers.

Ma mère
chaque soir
soulève de son ventre
les longs doigts de la journée.

Un texte écrit à la lumière vacillante du souvenir et qui convoque un autre livre, celui de Marie-Laure Zoss, le noir du ciel.

Texte qui ramène au gris des jours mous des enfants et à ses propres escaliers trop hauts.

Ils disent qu’ils poseront leur main sur mon épaule
et rejoindront le petit garçon au fond de moi.

J’ai rencontré, il y a quelques années, Isabelle Damotte au Festival de la correspondance de Grignan. Elle animait des ateliers d’écriture poétique avec des enfants. Elle cherchait surtout à faire se rencontrer la poésie contemporaine et de très jeunes lecteurs. J’étais fascinée par sa démarche, exigeante et généreuse.

Je suis très heureuse de la retrouver sur les pages de ce texte.
J’espère que d’autres enfants croiseront son besoin de poésie.
J’espère croiser d’autres textes d’elle.

Ils posent les mots
sur le rebord
séparés
des paroles

On ne sait pas si les histoires vraies existent - éditions Cheyne, 2009

©photofabiennewiatly

Fabienne Swiatly

29 décembre 2009
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